La stabilité en République démocratique du Congo après les élections

Joseph Kabila cherche à maintenir le statu quo alors que la RDC entre en transition dans un contexte d’instabilité croissante.


Soldats des Forces armées nationales congolaises. (Photo: MONUSCO)

Soldats des Forces armées nationales congolaises. (Photo: MONUSCO)

L’instabilité et l’incertitude se dessinent, alors que la République démocratique du Congo se prépare pour ses élections présidentielles du 23 décembre. Le refus du Président Joseph Kabila de quitter ses fonctions à l’expiration de son mandat en décembre 2016 a précipité la RDC dans la crise politique la plus grave de son histoire, depuis la deuxième guerre civile congolaise de 1998 à 2003. Depuis, au moins 1 200 citoyens ont été tués car soupçonnés de participer à des manifestations. Beaucoup l’ont ete lors d’exécutions extrajudiciaires par les forces de sécurité congolaises. Cela s’est accompagné d’une augmentation de 40% du nombre de violations des droits de l’homme imputables à l’usage disproportionnée de la force par les forces de sécurité, lors des manifestations anti‑Kabila. Les troubles provoqués par la crise politique ont galvanisé un grand nombre des 70 groupes armés en RDC, dont certains ont déclaré ouvertement qu’ils souhaitaient « libérer le Congo » d’un dirigeant sans légitimité.

Même avec le départ de Kabila après 18 ans au pouvoir, les chances que les élections aient un effet stabilisateur sont faibles. Le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), conserve son autorité sur la commission électorale, ainsi que sur toutes les branches du gouvernement et des services de sécurité. L’asservissement de ces institutions à l’exécutif avait deja nui à la crédibilité des dernières élections présidentielles de 2011. Le maintien de leur position partisane suggère que le résultat du vote de décembre ne produira pas la légitimité que des élections libres et équitables sont censées générer. Le successeur de Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, loyaliste convaincu qui entretient des liens étroits avec la famille présidentielle, est perçu comme étant un homme de paille par lequel Kabila dirigera les affaires jusqu’en 2023, date à laquelle il pourra se représenter. Entre temps, les désaccords dans l’opposition, l’ont empêché de présenter un candidat unique, risquant ainsi de perdre une occasion en or, puisque seulement 16% des électeurs ont déclaré qu’ils voteraient pour Shadary.

Défis à court terme

Le manque de responsabilité et de professionnalisme dans le secteur de la sécurité est au cœur de nombreux problèmes du Congo. Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), qui comptent 140 000 hommes, sont mal équipées et mal entraînées, et leurs membres passent souvent des mois sans salaire. Pour combler ce manque à gagner, ils se livrent habituellement à des activités prédatrices, un problème souligné par le  Rapport final du Groupe d’experts des Nations Unies sur la RDC de juin 2018, selon lequel les réseaux criminels au sein de l’armée continuent de bénéficier du blanchiment d’argent et du trafic de minéraux. La pratique permettant au personnel militaire de piller les ressources remonte à l’ère de l’homme fort Mobutu Sese Seko. Celui ci avait maintenu l’armée faible en lui allouant un minuscule budget, alors qu’il dépensait des sommes considérables sur la Garde présidentielle, véritable essence du pouvoir, au cours de son régime de 32 ans. Il avait encouragé ses généraux à exploiter les ressources et les citoyens en leur disant: « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire. »

Les militaires, en contrepartie, lui sont restés fidèles, car ils avaient tout intérêt à maintenir l’accès à ces revenus illicites. Ce type de comportement prédateur de la part des militaires se poursuit aujourd’hui. La corruption est généralisée et compromet l’efficacité opérationnelle des forces armées. Une enquête de l’ONU en 2017 a révélé que les FARDC étaient la principale source de ravitaillement en armes pour plusieurs groupes rebelles, en partie raison de la vente a ces meme groupes d’armes par  des officiers des FARDC. Les FARDC, dans les zones de conflit, prélèvent régulièrement des taxes illégales sur les civils et les forcent à payer des « frais de protection » ou l’équivalent en nourriture et en biens. Ils appellent cette pratique « lala salama » (dormir en paix), suggérant que les civils doivent payer pour leur sécurité physique. Une autre enquête de l’ONU menée en 2015 a révélé que des commandants déployés contre les Forces démocratiques alliées (ADF) avaient coordonné la vente de bois malgré les combats. De même, une enquête des Nations unies en 2010 sur le viol collectif de plus de 300 civils dans la province de Walikale, riche en minéraux mais rétive, a révélé que des soldats avaient abandonné leurs postes pour se lancer dans l’exploitation de mines dans la région.

Le paysage sécuritaire compliqué du Congo restera un facteur majeur dans les efforts post‑électoraux de stabilisation, quel que soit le futur dirigeant. 

En raison de telles pratiques, l’armée n’a pas réussi à assurer la sécurité des citoyens, bien qu’elle ait reçu des milliards de dollars en aide au développement du  professionnalisme et à la préparation au combat. Les conséquences en sont désastreuses. On estime aujourd’hui à 2,4 millions le nombre de Congolais déplacés de force. Par ailleurs, avec 18 000 soldats sur le terrain et un investissement total de près de 9 milliards de dollars, le déploiement de la MONUSCO par les Nations Unies dans l’est de la RDC reste l’une des missions de maintien de la paix les plus importantes et les plus coûteuses au monde.

La politisation continue des dirigeants du secteur de la sécurité est une préoccupation majeure alors que la RDC se dirige vers une transition. Kabila a nommé des fervents loyalistes aux plus hautes fonctions de l’armée, de la police et des services de renseignement lors d’une réorganisation de leurs dirigeants en juillet 2018. La réaction envers Shadary ou envers un candidat de l’opposition prenant charge, est incertaine. Tous ces nouveaux officiers figurent sur diverses listes de sanctions pour fautes graves. Le chef de l’armée, le général John Numbi, son adjoint, le général Gabriel Amisi, le directeur des renseignements généraux, Kalev Mutombo, et le commandant de la garde républicaine notamment, François Olenga, sont tous sous le coup de sanctions américaines, britanniques  et de l’Union européenne  pour violation des droits de l’homme et autres, y compris pour blanchiment d’argent. Selon l’ONU, le général Amisi exploite un site d’extraction d’or et était auparavant impliqué dans la distribution d’armes à des braconniers et à des rebelles.

La structure du pouvoir

Le bureau du président est au sommet d’un vaste appareil de clientélisme

Le système politique du Congo fonctionne essentiellement de la même manière que sous le régime de Mobutu et que sous celui du défunt père de Joseph Kabila, Laurent. Le bureau du président est au sommet d’un vaste appareil de clientélisme construit sur des réseaux formels et informels allant du niveau fédéral aux gouvernements provinciaux et locaux. Le bureau du président serait impliqué dans la recherche généralisée de rentes et de détournement de ressources de l’État. Environ 4 milliards de dollars ont été pillés sous Mobutu – un cycle poursuivi par les Kabila. En 2015, Luzolo Bambi, alors conseiller de Kabila en matière de lutte contre la corruption, a déclaré que 15 milliards de dollars étaient perdus chaque année à cause de la fraude. Dans ses fonctions précédentes de ministre de la justice, il a mis en place plusieurs mesures de grande envergure afin d’éliminer la corruption et l’incompétence du pouvoir judiciaire, mais des procureurs peu coopératifs, les ont empêchées de porter leurs fruits. Une étude du centre Pulitzer a révélé que la famille du président et ses alliés contrôlent jusqu’à 80 entreprises avec des participations dans presque tous les secteurs, allant des secteurs bancaire et immobilier à celui des mines, des télécommunications et de l’agriculture, et rapportant des centaines de millions de dollars par an.

L’accès à ces revenus a permis aux membres du cercle restreint du régime de coopter des opposants et des fonctionnaires de la justice, du pouvoir législatif et d’autres institutions clés telles que la commission électorale.

Des comportements similaires en matière de violation des droits de l’homme et de parrainage sont observés chez les hauts fonctionnaires civils du gouvernement de Kabila. Shadary figure sur la liste des sanctions imposées par l’UE pour avoir ordonné la répression violente de manifestations lorsqu’il était chargé des dossiers de la sécurité et des affaires intérieures. Les gouverneurs du Kasaï Central et du Haut Katanga et le vice‑Premier ministre Gideon Mutanga sont sous sanctions de l’UE pour avoir planifié, dirigé ou commis des violations des droits de l’homme.

La manière dont ces acteurs bien implantés réagiront à un changement de gouvernement s’ajoute au degré d’incertitude de cette transition. Plusieurs mois avant que Kabila ne désigne Shadary comme son successeur, de nombreux membres de son cercle restreint parmi lesquels le président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku, l’ancien Premier ministre Augustine Ponyo et le chef de cabinet du président, Nehemie Wilonga, plus connu sous le nom de « M. le Vice‑président », se bousculaient pour le poste. Finalement, Kabila a choisi le relativement peu connu Shadary, dont la base de pouvoir limitée et les maigres finances ont probablement tourné à son avantage car il est susceptible d’être plus redevable à Kabila que d’autres géants politiques plus ambitieux.

Pour le moment, Kabila semble avoir préservé son successeur désigné du moindre défi, en resserrant son emprise sur l’appareil gouvernemental. Il a obtenu le poste nouvellement créé de président du parti, ce qui lui confère une influence notable sur les prise de décisions du gouvernement, sous une administration du PPRD. Il a également placé trois fidèles alliés au sein de la Cour constitutionnelle, composée de neuf membres, pour remplacer les juges qui avaient pris leur retraite. La Cour suprême, composée de 27 juges, est également remplie de loyalistes. Au cours du remaniement de juillet dernier, le Parlement à majorité PPRD a adopté une loi accordant à Kabila l’immunité contre des poursuites judiciaires, une résidence officielle, un passeport diplomatique, des gardes du corps à vie et 50% de son salaire présidentiel.

Au-delà les élections 

Kabila ayant complété son plan minutieux pour conserver son influence après les élections de décembre, il n’en dévoile pas moins son intérêt à maintenir le statu quo. Cela pose un dilemme pour la RDC, car la plupart des Congolais estiment que des réformes fondamentales de l’autorité gouvernementale sont nécessaires pour remédier à l’instabilité croissante du pays.

Hauts magistrats et juges de la Cour constitutionnelle.

Hauts magistrats et juges de la Cour constitutionnelle. (Photo: Radio Okapi/John Bompengo)

Les institutions qui devraient préserver les ressources du Congo et contrôler le pouvoir exécutif, en particulier les tribunaux et le parlement, sont elles‑mêmes gravement compromises et incapables de remplir leur mandat. Il est impératif de rétablir leur indépendance si le prochain gouvernement veut rompre avec la trajectoire actuelle et apporter un réel changement au pays.

La période de renforcement institutionnel entre 2006 et 2009 constitue un précèdent pertinent puisque la législature est est parvenue à pourvoir un contrôle important sur le pouvoir exécutif. Au cours de cette période, l’Assemblée Nationale a mené 43 enquêtes indépendantes aboutissant au sanctionnement de ministres et à la réaffectation des dépenses. De son côté, le Sénat a supervisé 28 enquêtes indépendantes qui ont préconisé le versement de réparations à de nombreuse victimes de la mauvaises conduite de l’exécutif. Bien que le parlement ait éventuellement perdu son indépendance due à l’ingérence du pouvoir exécutif, cet épisode dernier démontre qu’il est possible de créer des branches autonomes du gouvernement en RDC.

Les organisations régionales, en particulier la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine (UA), devront également s’acquitter de leur obligation de respecter les principes d’équilibre des pouvoirs en RDC s’il est question de pallier à l’instabilité. La SADC était la garante du processus de paix de Sun City ayant conduit à la création en 2003 d’institutions indépendantes en plein essor, en RDC. Le rôle joué par la SADC, dans son exécution ultérieure, démontre la valeur que peut apporter un engagement cohérent et fondé sur des principes d’acteurs extérieurs, afin maintenir les processus de réforme sur la bonne voie. Cela sera sans aucun doute crucial à l’avenir, car un changement majeur est nécessaire si la RDC veut changer sa trajectoire future et d’atteindre la sécurité et la responsabilité qui permettront au Congo d’acheminer ses immenses richesses vers un développement significatif.

Experts du CESA


Ressources complémentaires